Laurence Fortin Vice-Présidente de la Région Bretagne en charge de l'Aménagement Territorial
« Repenser nos façons d’habiter, de travailler, de se déplacer sans jamais ignorer les aspirations légitimes des bretonnes et des bretons »
Comment voyez-vous la mise en œuvre du SRADDET dans les territoires bretons ? Et dans quel calendrier ?
« Si le SRADDET est un document qui parle urbanisme aux documents d’urbanisme, il n’est pas à proprement et juridiquement parler un document d’urbanisme ! Mais, c’est quand même un document stratégique, prescriptif et intégrateur, qui comprend des orientations et des règles s’adressant effectivement aux documents de planification et d’urbanisme locaux (SCOT, PCAET, PDU, Charte PNR et directement les PLU en l’absence de SCOT exécutoire). Ce sont ces documents infras qui auront la charge de décliner les orientations et les règles régionales sur leur territoire et les adapter à ce territoire. Pour ce qui concerne le calendrier, si le SRADDET est adopté par le Conseil Régional fin 2020 et approuvé par arrêté préfectoral en 2021, les documents d’urbanisme n’auront l’obligation d’être mis en compatibilité avec celui-ci qu’à leur prochaine révision, ce qui potentiellement à l’échelle de la Bretagne pourrait prendre plusieurs années. Nous comptons donc sur l’engagement des territoires pour anticiper et accélérer les révisions ou élaborations de leurs documents et pour mettre en œuvre les transitions prévues dans le cadre de la Breizh Cop au plus tôt. »
Dans la SRADDET breton il y a une grande ambition de préserver les terres agricoles et naturelles. Cela induit que les unités urbaines des communes ne vont plus ou peu évoluer. Reconstruire les villes sur elles-mêmes est-elle la solution ultime au vu de la situation écologique actuelle ? Et comment aborder cette nouvelle donne avec chaque territoire ?
« La Terre, notre sol, est une ressource finie, que la Bretagne a un besoin urgent de protéger, pour des raisons écologiques, économiques, agricoles, alimentaires et sociales. L’objectif concerté avec les territoires dans le cadre de la démarche Breizh Cop et arrêté par le Conseil Régional à l’issue de la concertation est effectivement de mettre un terme à la consommation foncière, avec pour objectif le « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2040, en passant par une trajectoire progressive favorisant le renouvellement urbain et la densification. Tout ne se fera pas en un jour : les retours de la concertation ont amené le Conseil régional à ne pas retenir le choix d’une règle contraignante pour atteindre cet objectif, mais à compter sur l’engagement des territoires ainsi que sur de nouveaux outils dans le cadre d’une stratégie foncière régionale solidaire pour développer un nouveau modèle de « recyclage » des fonciers urbanisés ou en friche. Si l’ambition régionale est forte, en revanche le document arrêté ne contraint pas de façon immédiate et règlementaire à l’arrêt net et immédiat de toute artificialisation en dehors de l’enveloppe urbaine, mais prévoit bien d’en faire progressivement une modalité exceptionnelle et justifiée, ou compensée… »
Quelles conséquences ce renouvellement urbain aura-t-il sur la qualité de vie des habitants en Bretagne ? Et comment garantir que la qualité de l’habitat et la qualité de vie s’améliorent grâce à cela ?
« Il faut sans doute repenser nos façons d’habiter, de travailler et de se déplacer, mais cela sans jamais ignorer les aspirations légitimes des bretonnes et des bretons, qui reposent notamment sur la qualité de vie, des paysages, des espaces publics, mais aussi sur la qualité du lien social et du vivre ensemble dans des territoires de vie « à taille humaine ». Cela passe notamment par la revitalisation de nos bourgs, de nos centralités, bien souvent abandonnés au profit d’opération extensives et consommatrices de foncier. Ce « retour à la centralité », notamment des bourgs et villes moyennes est une tendance lourde au niveau national, et particulièrement perceptible en Bretagne. Tendance qui peut notamment être favorisée par l’avancée du télétravail en période post covid. Il faut aussi pour nous élu.e.s, sans doute réinterroger certaines idées reçues, qui associent un peu mécaniquement et systématiquement la densité et les barres d’immeuble, et la qualité de vie avec la traditionnelle maison au milieu du jardin. Les études récentes en matière de sociologie de l’habitat tendent à montrer que si l’aspiration de nos habitant.e.s à un logement individuel reste forte, cela ne passe pas forcément par le besoin exprimé d’un pavillon traditionnel sur une surface de 600 ou 800 m². Le logement individuel peut être dense, économe en foncier, et des expérimentations sur la mixité des formes urbaines avec petits ensembles de logements collectifs ou intermédiaires montrent que la qualité de vie perçue plus souvent sur la qualité des équipements, des espaces aménagés, la proximité des services, des voies de mobilité douce et des espaces naturels que sur le seul espace privatif de pelouse qu’on a acheté… »
Est-ce que l’objectif national du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est parfaitement transposable à l’échelle régionale ?
« A titre personnel, je suis convaincue non seulement que l’objectif ZAN est transposable à l’échelle régionale, mais plus encore, que la seule chance de parvenir à l’atteindre est de s’organiser à l’échelle régionale, notamment en organisant les solidarités territoriales à l’échelle régionale. Attention, il faut bien comprendre que le ZAN, ce n’est pas le Zéro Artificialisation de chaque territoire, les territoires ne sont pas en mesure de l’accepter, ou de le réaliser aujourd’hui. Le N du Nette veut dire qu’on vise une neutralité de consommation en 2040, ce qui implique que de la consommation foncière est encore possible, à condition de restituer à la nature ou à l’agriculture autant que de foncier consommé. Il s’agit de trouver un nouveau modèle d’économie circulaire en matière de foncier, et de « recycler » les fonciers déjà urbanisés, pour atteindre une « Neutralité Foncière » tout comme on vise aujourd’hui la neutralité carbone. Le ZAN, n’implique donc pas l’arrêt immédiat et uniforme de toute nouvelle consommation foncière, elle implique qu’on rende aux surfaces agricoles et naturelles autant qu’on lui prend, car ces surfaces sont indispensables à la vie et à la santé humaine. Cela Implique donc de nouveaux modèles et de nouveaux dispositifs de renaturation, de gain écologique, de compensation foncière… Les territoires de Bretagne ne disposant pas tous des mêmes moyens pour lutter contre l’artificialisation, pour protéger et reconquérir les espaces naturels et agricoles, l’objectif décliné à une échelle régionale doit permettre de nouveaux outils de mutualisation, de rééquilibrage, de solidarité, voire de réciprocité… Pour qu’aucun territoire ne devienne la « réserve d’indien » ou aucun développement urbanistique ne serait possible, mais pour que chacun ne trouve pas non plus le moyen d’expliquer que la gestion économe du foncier ne concerne que le territoire d’à côté… »
Pensez-vous que la crise sanitaire aura un fort impact sur les attentes des habitants en termes d’habitat ? en termes d’espaces publics, d’espaces verts, d’aménagements urbains ?
« Il est probable que cela soit le cas. L’aspiration à un jardin ou au moins un extérieur risque d’être plus forte ; c’est en tout cas que la presse nous dit ces derniers jours. Nous allons sans doute toutes et tous avoir envie de plus de nature. Mais cela n’est pas antinomique du tout avec les objectifs de préservation de la nature que nous portons ; au contraire. Pour que le plus grand nombre d’entre nous, mais surtout les générations futures, puissent concrétiser cette envie de nature, il nous faut dès à présent évoluer, accepter de revoir certains des modèles que nous pensons inébranlables comme celui de la maison individuelle sur un grand terrain. Les nouvelles formes urbaines, la nature en ville sont quelques un des chantiers que nous devons travailler. »
Comment faire face aux attentes des Bretons tout en respectant à la fois les objectifs de ZAN, de protection des sols et de renouvellement urbain en Bretagne ? Ces ambitions sont-elles incompatibles ?
« Il faut savoir avancer sur tous les sujets qui peuvent parfois sembler être contradictoires. C’est ce que nous avons cherché à faire avec la Breizh Cop qui a pour devise de nous amener vers « un monde à vivre ». Il faut savoir aller parfois jusqu’à la rupture de nos modèles sur certains sujets ; mais tout en négociant ces ruptures afin qu’elles soient acceptées de toutes et tous et portées par le plus grand nombre. »
Quelle est votre vision de la Bretagne en 2030-2040 au niveau de l’aménagement du territoire ?
« C’est une Bretagne, équilibrée, dynamique, où la cohésion territoriale sera préservée, autour de territoires contribuant tous au développement, où il fait bon vivre mais aussi respectueux des ressources que nous laisserons à celles et ceux qui nous succéderont. »